Pourquoi dit-on que la fibromyalgie « ça ne se voit pas » et donc nous n’avons pas droit au suivi psychiatre/neurologue alors qu’on traite bien tous les dépressifs et les migraineux avec le respect qu’il se doit, et ce, même si leur maladie ne se voit pas?

Le syndrome de la fibromyalgie existe depuis des siècles. C’est son nom qui a changé au fil du temps, ce qui a certainement contribué au flou qui entoure cette problématique et à sa reconnaissance tardive. Plusieurs personnes ont pu recevoir un diagnostic de rhumatisme alors qu’elles souffraient en réalité de fibromyalgie. C’est Sir William Gowers, neurologue anglais, qui a été le premier à nommer la maladie en 1904: fibrosite. Son hypothèse était que les personnes souffraient d’une inflammation des tissus. Les études ont par la suite réfuté cette hypothèse. Les chercheurs ont constaté que les personnes atteintes de ce syndrome présentaient aussi des symptômes d’anxiété et de dépression. Une étude a même suggéré que la « fibrosite » était liée à un état psychonévrotique chronique (ce qui n’est heureusement plus le cas aujourd’hui). Finalement, en 1992, le syndrome de fibromyalgie s’est transformé en fibromyalgie et est reconnu comme maladie chronique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Aujourd’hui, la fibromyalgie est donc reconnue comme une maladie, caractérisée par la présence de douleurs chroniques diffuses et souvent accompagnée par des troubles du sommeil, de la fatigue, des troubles de l’humeur, de l’anxiété et de légers troubles cognitifs souvent appelés “brouillard fibromyalgique”. D’autres problèmes de santé sont aussi plus fréquemment rencontrés chez ces personnes.

Jusqu’à tout récemment, les recherches étaient majoritairement menées chez des sujets masculins. Comme vous le savez peut-être, la fibromyalgie atteint 2 fois plus de femmes que d’hommes. Même, avant l’arrivée des critères diagnostic de 2010, ce ratio était de six femmes pour un homme. Les sujets étudiés étaient donc peu représentatifs de l’ensemble des personnes vivant avec de la fibromyalgie.

La fibromyalgie est une problématique complexe qui nécessite une prise en charge globale (méthodes d’interventions variées dans différentes sphères : physique, psychologique, cognitive, sociale). Au Québec, le médecin de famille est la personne toute désignée pour cette prise en charge globale.

Des développements s’en viennent en regard des possibilités diagnostic de la fibromyalgie. Alain Moreau, PhD, Professeur à l’Université de Montréal et chercheur au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine, a découvert en 2023, des biomarqueurs de la maladie, soit un signal biologique dans le corps qui peut fournir des informations importantes sur la santé d’une personne ou la présence d’une maladie particulière comme la fibromyalgie. Il existe une variété de biomarqueurs. Ce tout nouveau test moléculaire n’est pas encore commercialisé ni homologué. L’arrivée d’un test diagnostique permettra possiblement des diagnostics plus rapides, et conséquemment, une prise en charge plus rapide.

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Pour le moment, le diagnostic de la fibromyalgie est clinique. C’est-à dire qu’il est basé sur les symptômes (ce que vous ressentez) que vous mentionnez au médecin lors du questionnaire et sur l’examen physique. Ce dernier est essentiellement normal dans la fibromyalgie. Puisque l’examen physique est relativement normal, ceci explique que la fibromyalgie ne se voit pas. Le médecin demandera une prise de sang et peut-être certains tests d’imagerie pour éliminer d’autres problèmes de santé.

Il pourrait être indiqué de voir un neurologue quand il y a des trouvailles à l’examen physique, par exemple un déficit neurologique comme une perte de sensibilité ou une perte de force dans des territoires spécifiques, pour identifier une autre cause à ces symptômes. Autrement, si l’examen est normal, il n’est pas indiqué de voir un neurologue pour la seule condition de fibromyalgie. 50% des personnes souffrant de fibromyalgie présentent également des maux de tête, incluant les migraines et les différents types de maux de tête. En cas de migraine résistante aux traitements habituels (pharmacologiques et non-pharmacologiques), prescrits ou enseignés par votre médecin de famille, il peut être pertinent de rencontrer un neurologue.

La fibromyalgie n’est pas un trouble de santé mentale. Toutefois, de 30% à 50% des personnes présentent un trouble d’anxiété ou d’humeur dépressive au moment du diagnostic de fibromyalgie. Ce nombre pourrait aller jusqu’à 60% en cours de maladie. Une consultation en psychiatrie pourrait être indiquée selon les autres problèmes de santé mentale déjà présents, la sévérité ou si la réponse aux traitements habituels n’est pas satisfaisante. Autrement, le médecin de famille demeure la personne ressource pour adresser ces difficultés. À elle seule, la fibromyalgie n’est donc pas une indication de référence en psychiatrie.

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Au Québec et au Canada les médecins de famille sont désignés pour poser le diagnostic et assurer le suivi des personnes atteintes de fibromyalgie. Au besoin, le médecin de famille peut faire appel à certains spécialistes selon la problématique identifiée.

Pour le moment, il n’existe pas de traitement pour guérir la fibromyalgie. Bien gérés, les symptômes peuvent toutefois diminuer, et pour certaines personnes, sembler disparaitre. La gestion des symptômes est principalement non-pharmacologique. En effet, les recommandations sont principalement orientées vers les stratégies d’autogestion, c’est-à-dire, des stratégies que les personnes atteintes de la maladie appliquent au quotidien pour améliorer le contrôle sur leur condition et leur qualité de vie. L’activité physique bien dosée, le respect des principes de l’hygiène du sommeil, une gestion adéquate des émotions difficiles et du stress, l’adoption de saines habitudes de vie, le dosage de ses activités quotidiennes et le maintien de relations sociales satisfaisantes sont les principaux éléments de cette auto-gestion. Quant à la médication, elle est recommandée en deuxième intention. Elle peut aider à diminuer certains symptômes tels que la douleur, le trouble du sommeil, l’anxiété et la dépression.

Malgré l’évolution des connaissances et des recherches sur la fibromyalgie, cette maladie demeure jeune dans l’histoire de la médecine. Ainsi, elle demeure méconnue et mal comprise dans la population, et chez certains professionnels de la santé. Ceci la rend particulièrement vulnérable à la stigmatisation. La stigmatisation est reconnue comme étant un important prédicteur des inégalités en matière de santé.

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La stigmatisation peut abaisser l’estime de soi des personnes et réduire leurs soutiens sociaux, entraînant ainsi leur isolement. Les personnes affectées peuvent se sentir coupables et éviter de se prévaloir des services de santé. Même si elles consultent, leurs soins pourraient être affectés par le comportement stigmatisant des professionnels de la santé.

Les troubles de santé mentale et la migraine sont des conditions de santé qui sont aussi, encore aujourd’hui, stigmatisées. L’éducation aux professionnels et au grand public, la recherche et l’amélioration des soins et de leur accès sont tous des facteurs favorables à la diminution de la stigmatisation. La fibromyalgie, et plus globalement la douleur chronique, sont un peu derrières à cet effet. Toutefois, des initiatives nationales, comme la mise sur pied d’un groupe de travail canadien sur la douleur en 2019, la création d’un site internet Québécois regroupant des données fiables sur les différents aspects reliés à la douleur comme https://www.gerermadouleur.ca , et particulièrement la journée mondiale (12 mai) de la fibromyalgie sont très encourageantes pour l’avenir des gens atteints de douleur persistante et de fibromyalgie.

Chantal Doré, ergothérapeute, Centre d’expertise en gestion de la douleur chronique du CIUSSS de l’Estrie-CHUS et chargée de cours école de réadaptation de l’Université de Sherbrooke.
Dre Nathalie Clément, omnipraticienne, Centre d’expertise en gestion de la douleur chronique du CIUSSS de l’Estrie-CHUS, professeure d’enseignement clinique, à la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke.

Références:
1- Algorithme de prise en charge de la fibromyalgie: https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/document-001056/
2- Lévesque-Lacasse, A.; Cormier, S. La Stigmatisation De La Douleur Chronique : Un Survol Théorique Et Empirique. Douleurs Evaluation – Diagnostic – Traitement 2020, 21 (3), 109–116 DOI: 10.1016/j.douler.2020.04.013.
3- Nord, É. (2023) Encéphalomyélite myalgique et fibromyalgie, Un premier test moléculaire pour poser le diagnostic. Le médecin du Québec, V58, no5, 7-9

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